lundi 20 septembre 2021

Le réveil

 

« Je ne me souviens pas d’avoir lu un livre ou vu un film qui traitait d’une grippe dévastatrice comme la grippe espagnole ou la grippe chinoise… Doit-on parler de cette crise de 2020, du confinement, du port du masque ? La peur d’un virus qui circule longtemps, d’un nouveau confinement, ou même d’étouffer avec le masque, nous enlèverait-il le droit d’en parler, d’écrire sur ce virus ? »


Un cri. C’est ce qui m’a réveillé. Enfin, je me suis réveillé. Moi-même. Vous savez, ce genre de cri étouffé que vous poussez en sortant d’un cauchemar, redressé et trempé de sueur. Et bien voilà, on y est. Et tout autour de moi, il y a des tubes et du blanc. Le blanc très reconnaissable d’un hôpital. Ma vision se trouble et je retombe dans le noir du sommeil.

« Oui, c’est normal. Il a passé plusieurs mois dans le coma. Un coma végétatif, où il ouvrait les yeux mais aujourd’hui, il tente vraiment de se réveiller. Cela va venir. C’est pour bientôt. Essayez de lui parler, d’évoquer avec lui des souvenirs… »

J’ouvre les yeux, doucement. Un réveil de mort. C’est le cas de le dire. C’est une sorte de vertige, dans mon corps d’abord, mais aussi dans mon cerveau. Je suis dans le brouillard, je ne sais pas ce que je fais là… Pire, je ne sais pas qui je suis. Un homme, jeune me semble-t-il. Et cette chambre d’hôpital, je m’en souviens. Comme si cela faisait plusieurs jours que j’y étais. Sur la table de chevet, un verre d’eau et une montre en polyester. Le bracelet est bleu avec une bande rouge et une bande blanche en son centre. C’est à moi ? Je veux l’attraper mais mon bras est si lourd que je n’y arrive pas. Alors j’attends, j’essaye de me souvenir. L’aiguille avance elle, sans relâche. Dix-sept heures vingt-deux.

Soudain, la porte s’ouvre. L’infirmière, en combinaison complète, tente de me rassurer et dit qu’elle va prévenir mes proches. D’accord. Je tente de parler, mais là aussi, ma voix est faible. Et je me rendors dès qu’elle referme la porte.

« Mon amour. Je savais que tu allais revenir. »

J’ouvre doucement les yeux. D’abord, une odeur de cèdre m’envahit. J’aime cette odeur, je m’y sens bien. En tournant un peu la tête, je découvre un jeune homme. Une chemise à carreaux bleus et noirs. Je dirais un beau jeune homme d’après ses yeux… Il porte un masque chirurgical. Alors soit je suis amoureux d’un infirmier ou d’un malade, soit je suis vraiment contagieux. Ses yeux se plissent, signe qu’il sourit. « Oh, et puis mince ! »

Après un bref regard vers la porte, il ôte le masque. « Bonjour mon amour. »

Bonne nouvelle, le reste de son visage est beau lui aussi. Il a une barbe de trois jours et un sourire radieux. Je déglutis et arrive à murmurer un « Bonjour. »

Un silence. Plutôt long ou est-ce moi qui n’ai plus la notion du temps ? Le jeune homme perd peu à peu son sourire. « Tu ne me reconnais pas, c’est ça ? »

Soudain, ses gestes sont nerveux. Il appuie avec insistance sur le bouton d’appel de l’infirmière. « Ce n’est pas grave, tu sais. C’est normal. Le médecin nous avait prévenus… Il ne faut pas t’inquiéter. Tout va bien, oui, oui, tout va bien. »

Après quelques instants déstabilisants, l’infirmière arrive. Immédiatement, elle fusille le garçon du regard, qui remet rapidement son masque. Comme un enfant qui viendrait de faire une bêtise. Elle prend le temps de nous expliquer : ma mémoire a été un peu secouée. Il va falloir du temps, pour se souvenir ou dans le pire des cas, réapprendre. J’ai du mal à la comprendre avec son masque et surtout, à voir si elle sourit. Cela pourrait me rassurer.

A peine est-elle partie, le silence retombe. Je ne sais pas ce que je dois dire ou faire. Et pourtant, le jeune homme près de moi est ému. Les larmes lui montent aux yeux. Il baisse son masque à nouveau et me tombe dans les bras.

L’odeur de cèdre mélangée à celle de son cou me monte à la tête. Rémi. Mon amour. Comment aurais-je pu oublier ? C’est encore flou, bien sûr. « Rémi. »

Je ne sais pas quoi dire d’autres, ma voix se coupe. Son bonheur se manifeste encore par des larmes. Je les sens couler sur ma joue quand il m’embrasse.

C’est alors qu’il se recule, d’un bond. « Oh non, je n’avais pas le droit. Qu’est-ce que j’ai fait ? »

L’effroi se lit sur son visage. Je tente de me redresser, l’interroge du regard. Il reprend : « Je… Oui je dois t’expliquer, tu ne peux pas comprendre… L’agression a eu lieu juste avant la Grippe 17. Beaucoup de choses ont changé, mon ange. Presque tout finalement… On manifestait pour avoir plus de droit quand tu as été agressé, d’où ton trauma crânien, et ton coma… Par où commencer ? On va dire par le début, bien sûr. Peu après ton agression, des personnes sont tombées malades. D’abord en Espagne puis en Pologne, très vite en France. Nous avons d’abord cru à une simple grippe et puis l’état nous a dit qu’elle avait empiré, d’où un nom : Grippe 17. Ça a pris de l’ampleur. Vraiment. On n’avait jamais vu ça. Le monde entier a été contaminé. Et puis on nous a dit de rester chez nous, que le masque ne servait à rien. Seules quelques professions continuaient de travailler. C’était dingue. Le monde entier à l’arrêt, confiné. »

Je me redresse un peu dans mon lit. « Confiné ? »

Rémi se tourne pour vérifier que personne n’arrive. « Oui, chez nous, tous. Interdiction de sortir sous peine d’amende. Après deux mois on a pu retourner au travail mais plus de loisirs extérieurs. Plus de manifestation, ça c’est sûr. Je ne pouvais pas venir te voir, j’en étais malade. Finalement, on a dû mettre ce masque. »

Je me gratte la tête : « Mais il y a beaucoup de morts ? »

« Ah non, très peu. Mais les tests montrent que beaucoup de gens l’ont en eux, sans forcément le développer. Donc maintenant le masque est obligatoire. Alors qu’il était inutile au début. On ne sait pas pour combien de temps on va devoir le porter. On ne doit pas s’embrasser, se toucher, on doit même se tenir à distance les uns des autres. Avec le masque sur le visage, pas de sourire non plus. Pas le droit de danser, de chanter… Et certains gardent le masque tout le temps, en voiture, chez eux… On agit maintenant comme des robots, sans sourire ni expression. On nous a finalement enlevé toute humanité. »

Mon corps se mets à trembler. C’est un cauchemar et je vais me réveiller. C’est sûr. « Il faut protester, ne pas le mettre… »

Rémi regarde à nouveau derrière lui. « On ne peut pas. Impossible. L’armée et les policiers sont déployés sur le territoire. Et en entreprise ou dans la rue, tu as des fervents défenseurs du masque qui font eux-mêmes la police. Ici, ils m’ont interdit de te toucher, pour ne pas te contaminer. J’ai l’impression parfois d’avoir atterri dans le livre "1984" de Georges Orwell. Ils ont commencé les vaccins. J’ai tout fait pour que tu ne l’ai pas d’office. Et il était temps que tu te réveilles. Je pense qu’ils vont commencer à vacciner de force les testés positifs… Dans quelques jours, je ne pourrais plus te rendre visite sans avoir un test négatif ; ce n’est pas un problème, tu connais notre médecin Philippe. Mais ensuite, il faudra le vaccin, il sera obligatoire. J’ai croisé une mère en bas, qui ne pouvait pas accompagner sa fille de deux ans. Elle n’avait pas fait le test alors on lui a pris sa fille de force. Tu sais, c’est compliqué, on entend tout et n’importe quoi sur ce test et encore plus sur le vaccin. Je ne sais plus quoi en penser. »

Rémi s’effondre soudain sur sa chaise. « Tu sais j’ai eu si peur de te transmettre le virus. Tu es là, vulnérable. Et pourtant tous nos amis font partie des anti-masques. Je me sens exclu, même si je suis d’accord avec eux. C’est la peur qui me retient et qui retient tellement de monde. »

Il semblait abattu et pourtant, il se redresse, respire profondément et reprend l’air optimiste que je lui connais bien. « Mais tu es réveillé, c’est le principal. Tout va aller mieux, tant que nous sommes à deux. »



Deux mois plus tard.

Nous avons vécu l’enfer à l’hôpital. Heureusement, j’ai pu vite sortir et un kiné vient m’aider à réapprendre à marcher et faire les mouvements de base. Il est du même groupe que nous. Je parle des anti-masques. Je n’aime pas ce mot « anti-masques ». Nous luttons contre Slim Sista, notre présidente. J’ai bien compris que nous n’étions plus en démocratie. Et je veux vite reprendre mes forces, pour aller manifester. Rémi est contre, bien évidement. J’ai reçu un coup par un policier à la gaypride et je me suis retrouvé à l’hôpital. Il ne veut pas que ça recommence. Surtout quand la situation est pire : nous ne faisons pas face à quelques policiers homophobes qui doivent cadrer une marche des fiertés. Nous avons aujourd’hui des policiers armés, qui ont le droit de nous donner des amendes, de nous menotter, de nous mettre en garde à vue pour un masque non porté. Beaucoup de bagarres de rue éclatent également entre les gens persuadés du bénéfice du masque et les opposants. Comment leur en vouloir ? Ils sont persuadés de sauver des vies, c’est ce que les médias de propagande affirment toute la journée.

Ce n’est plus une question de masque. C’est une question d’Humanité. Les masques ne protègent pas des virus, ils canalisent la poussière par contre. C’était un premier outil. Aujourd’hui, les bars, boites, restaurants sont tous fermés. Il reste la restauration rapide, quelques chaînes de restaurants, et encore. Les boutiques indépendantes ont aussi fermés. Les parcs et autres structures de loisirs ont dû mettre la clé sous la porte. Les chaînes d’informations déversent du contenu inapproprié : le nombre de canards a explosé, les prochaines vacances vont permettent aux français de se détendre, les ventes de maquillage ont chuté, les voitures hybrides sont de plus en plus achetées…. Entre temps, Slim Sista, en tout cas c’est comme cela que j’appelle notre présidente, a tous les pouvoirs. L’état d’alerte maximale est prolongé à trois ans renouvelables. Et je pense que ce n’est que le début.

Le vaccin est maintenant inoculé à toutes les personnes positives ou travaillant en hôpital. Il est fortement recommandé pour tous. Ils parlent d’un autre vaccin obligatoire pour les enfants en dessous de douze ans. Certains enfants disparaissent. On le sait aujourd’hui. Et le monde s’obscurcit.

Mais Rémi sourit. Rémi a foi en la vie, en l’amour, et tant qu’on est à deux…



Et un jour, la bombe H a explosé. Pas la bombe que vous connaissez. La bombe H pour Humaine. Et il s’agit bien de celle que tu tiens dans ta main. La bombe Humaine, elle est là. Elle t’appartient. En explosant, le peuple a libéré une bulle d’amour, une joie, un grand chambardement de paix. Le peuple a destitué la dictature en place. Et Slim Sista a été la première a être exilée. Car il n’y a plus de prison. Juste des îles pour les crapules. Doucement, le peuple a réappris à s’aimer, à se parler… En fait, après des mois de masques, le monde a dû reprendre possession de son Humanité : embrasser, faire un câlin, sourire… Oh oui, sourire. A chaque fois que je regarde Rémi, je me demande comment des gens ont pu empêcher de voir son sourire. Il est tellement beau, tellement lumineux mon amoureux.

Le monde est beau et grand lui aussi. Et il a toutes les ressources nécessaires pour l’Humanité. Il n’y a plus de vaccin, et plus de famine non plus. Juste un trop plein d’amour. Grâce à toi, à moi, à Rémi…. Nous éclairons le Monde.

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