mercredi 11 novembre 2020

Maniaque

 

Je n’ai jamais aimé le ménage. D’aussi loin que je m’en souviennes. Oui, c’est bien, c’est beau quand c’est propre. Mais vivre dans la saleté, je ne devrais pas le dire, je devrais en avoir honte, ça ne me gène pas. Les pots de yaourt, les vêtements, la vaisselle sale dans l’évier, et après ? J’aime flemmarder dans le canapé. Et puis j’ai beau faire propre, je suis quelqu’un de sale. Un exemple tout simple ? Quand je mange. J’en mets partout. Je ne le fais pas exprès. C’est naturel.

 

Depuis que Maya est arrivée dans ma vie, c’est comme si une tornade sévissais régulièrement dans les environs. Alors oui, c’est fabuleux. Je ne veux pas me plaindre, pas du tout. Je suis très heureux. L’appartement est toujours impeccable. A la moindre miette ou saleté, elle est en route avec son balai. En fait, même quand elle a aspiré et lavé, il lui arrive de balayer après. Et là, je me dis que c’est peut-être un peu abusé. Non ? Je pense que c’est après l’avoir vu faire plusieurs fois que mon cerveau a commencé a tilté. Vous savez, quand vous pressentez que quelque chose ne tourne pas rond. Et que vous ne savez pas ce qu’il va se passer. Mais que ça va être moche. C’est comme une petite angoisse au creux du ventre, qui monte, qui monte…

Jusque-là, tout va bien, je vous rassure.

D’ailleurs, je pense que le problème s’est amplifié depuis que l’on a pris un oiseau. Un perroquet pour être exact. Il est tout petit, vert, et assez autoritaire, il faut bien l’avouer. C’est lui qui décide dans la maison. Quand Maya rentre, il crie de joie. Quand n’importe qui rentre d’ailleurs. Et puis il danse, il fait des bisous sur la bouche, il chante… Or dès que l’on fait quelque chose qui ne lui plaît pas, on se fait mordre. Attaquer même. Il nous pince, nous arrache la peau, détruit le téléphone posé sur la table basse, grignote le contour argenté du miroir… Il démolit. Et quand des amis viennent à l’appartement boire un verre, il ne leur laisse pas le choix : il saute d’un verre à l’autre pour goûter. Pire, il vient voler presque dans la bouche de l’hôte un morceau de nourriture. Enfin, bref, je ne vous fait pas de dessin : un vrai démolisseur. Sauf que personne ne le déteste. Il a tous les droits. Pourquoi ? Parce qu’il sait aussi venir se frotter contre une oreille, faire un câlin dans le cou, faire un bisou… Un son de musique, une voix mélodieuse et il se met à danser en rythme. Et ça, tout le monde craque, même en n’aimant pas les volatiles.

Et vous me croirez si vous voulez. Mais l’oiseau là, dans sa cage, il a remarqué aussi que quelque chose ne tourne pas rond. Parfois on se regarde sans rien dire. Je suis dans le canapé, lui devant, on ne dit rien, on voit Maya prendre le balai et on se regarde. C’est un automatisme chez elle. Plusieurs fois par jour, elle passe le balai devant la cage. Après je comprends, un oiseau, ça salit. C’est la nature. On ne peu rien y faire.

Dans leur milieu naturel, les oiseaux mangent salement pour laisser quelques morceaux de fruits, de noix, tomber au sol. Ainsi, les arbres et plantes se ressèment et ils contribuent à la biodiversité. C’est quand même très bien fait la nature… Bref, le volatile en mets partout, ce qui ne suit pas vraiment avec le caractère assez maniaque de Maya. Et je l’ai déjà vu faire pire.

Souvent, quand Maya fait le ménage à fond, je suis tellement inutile que je ne sais pas quoi faire… Aller dans la chambre ou rester dans le canapé sont mes deux seuls choix puisque je dois rester immobile quelque part pour ne pas la déranger. Et depuis le canapé, je l’ai vu faire ce petit perroquet de malheur. Dès que tout est propre, il va dans sa mangeoire et fouille à grand coup de bec. Il en remet partout. Surtout si des amis doivent venir. Ce doit être une façon de marquer son territoire, montrer que c’est lui le chef. C’est tellement vrai. Alors, Maya soupire et passe l’aspirateur à main. Ou ressort le balai.

En fait, la peur est monté en moi dans la chambre. Rien à voir avec le balai. Ni avec l’oiseau. Il faut que je vous explique.

Le soir, on s’installe dans le lit avec Maya. On est bien, à deux. On regarde la télévision, on se regarde, on se câline…

Depuis quelques semaines, j’ai remarqué que son toc prenait de plus en plus de place. Augmentant ma peur. Maintenant, chaque soir, quand l’appartement est propre, la cuisine brillante, et après avoir vérifié que l’appartement était bien fermé, Maya vient dans la chambre. Je l’attends. J’attends aussi son rituel. Elle commence par lisser la couverture puis la rabattre. Bien parallèle au bas du lit. Puis elle lisse le drap house, et l’étire au maximum pour le rabattre sous le matelas. Elle redonne un coup avec sa main. Voir plusieurs fois. Elle replace son oreiller et enfin s’allonge.

Hier soir, lorsque Maya a fait ce rituel, nos regard se sont croisés. Et c’est là. A ce moment précis. Oui, là, que j’ai pensé : et si elle allait plus loin ? Elle pourrait oublier ma présence et remettre le drap house si fort, serrer la couette si fort en se bordant que j’en suffoquerais. Voilà, j’ai honte mais je l’avoue : j’ai peur que Maya me tu. Elle qui m’aime tant. Et depuis cet instant, ce regard, j’ai peur. J’y pense. Je me fais la scène dans la tête.

Dans sa folie, son mode tornade enclenché, elle pourrait bien ne pas faire attention à ce qu’elle fait. C’est déjà arrivé. Un coup dans le lit en remettant bien la couette, un coup de rallonge d’aspirateur, un coup de coude… Mais le pire, je pense pouvoir le dire, c’est quand elle m’a envoyé du vinaigre blanc dans l’œil. Je passais dans la cuisine, elle était armée de son spray et je me suis pris un jet. Pile dans l’œil. Je peux vous dire que ça fait mal. Très mal.

Je ne lui en ai pas voulu. C’est comme lorsqu’elle m’enferme par erreur dans le cagibi. Ce n’est pas si grave.

Mais si elle allait plus loin ? Après tout, je suis si petit. Un beau chat, bien sûr, mais c’est petit par rapport à un humain, non ?